Leçons de Calais
Une intervention de Cyrille Hanappe à l’occasion de la journée d’étude Habitat et précarité le 17 mars 2016 à l'isdaT.

Retranscription de l'intervention
Le texte ci-dessous est une retranscription brute de l’audio de l’intervention. Elle n’a pas fait l’objet de réécriture de la part de l’intervenant.
"La question c'est : est-ce que la jungle est un modèle urbain ? Il faut savoir que dans les prochaines années - tous les chiffres convergent - il y aura deux milliards de personnes qui vivront en habitat informel, c'est à dire 30% de la population mondiale, qu'il y a déjà actuellement 50 millions de personnes qui vivent dans des camps, donc l'équivalent de la population française, et en même temps, il faut prendre acte du fait que ce sont des espaces urbains.
La question qu'on se pose dans mon studio sur ces modes de travail, etc., c'est : les nouveaux rôles de l'architecte là-dedans. L'architecte a un rôle a jouer. Il y a extrêmement peu d'architectes qui travaillent sur ces territoires, alors qu'ils concernent énormément de gens, et on va voir un petit peu ce qu'il peut faire là-dedans. Pour résumer et dire ce qu'il y a derrière : il y a un rôle technique, c'est le rôle de l'architecte que tout le monde connaît déjà, mais qui va être appliqué à ça, l'architecte peut transmettre des choses, notamment sur la question de la réduction des risques, parce qu'en habitat informel, on est exposé à l'incendie, au vol, à l'inondation, au vent.
L'architecte va avoir un rôle de représentation, ça c'est quelque chose qu'on va regarder aussi, c'est à dire qu'il donne à voir ces espaces, on les dessine, on les donne à comprendre, pour deux styles d'acteurs : pour les habitants, qui vont pouvoir appréhender l'espace dans lequel ils habitent pour pouvoir agir dessus, et les acteurs extérieurs, l'Etat, etc., qui a toujours tendance à vouloir en faire un non dit, un lieu non pensé, qu'il faut détruire le plus brutalement possible et le plus rapidement possible sans qu'il n'ait d'existence. Nommer les lieux, c'est leur donner une existence, l'Etat a toujours eu intérêt à dire que la jungle, c'était l'horreur et qu'il n'y avait rien à y comprendre, pour pouvoir la raser sans qu'il y ait d'hésitation.
Et l'architecte, bien sûr, a un rôle de projet et de vision, c'est à dire qu'il va pouvoir écouter les besoins des gens, ce qu'ils disent, pour définir un petit peu les actions à entreprendre sur l'espace.
Il y a des nouvelles manières pour les architectes, ce que j'appelle des nouveaux paradigmes architecturaux. C'est bottom/up, c'est à dire que l'architecture jusqu'ici, ça avait toujours été pensé jusqu'ici avec des grands maîtres d'ouvrage, qui avaient beaucoup d'argent, et qui disaient comment faire l'architecture, en allant vers le bas - un petit peu dans le sens de ce que vous disiez - où les besoins ne sont pas tellement analysés. Donc là au contraire, on va partir du bas, la question de la participation. La "capacitation", c'est un mot qui sonne un peu barbare, c'est le empowerment américain, c'est dire que par l'action qu'on va faire, on va amener les gens à travailler, ils vont participer à ce qu'ils font et ils vont le faire eux-mêmes. Donc il y a une question de subjectivisation, les gens, on ne considère pas que ce sont des assistés à qui on donne les choses et qui vont les consommer, mais au contraire que ce sont des gens qui ont des choses à apporter, qui ont des capacités personnelles, des capacités économiques, ce n'est pas quelqu'un qu'on va mettre dans un camp, avec un numéro, à qui on va donner de la nourriture deux fois par jour, qui n'aura surtout pas le droit d'avoir la moindre initiative économique, or c'est ce que font le camp des containers de Calais, actuellement c'est cette logique là complètement. Non, au contraire, c'est donner la capacité à l'initiative économique.
Alors quand on construit aussi, il y a des questions écologiques qui se mettent en place, parce que quand on construit dans le bidonville, on a très peu de moyens, donc la question du poids des matériaux est très importante, la question du recyclage est très importante, donc réduction des risques et évaluer l'impact économique et l'impact social de ce que l'on peut faire.
Je vais revenir sur un petit historique de ce qu'il s'est passé à Calais depuis un an. Il y encore un an, la jungle de Calais dont on parle dans les médias, n'existait pas. Il y exactement un an, le 17 mars 2015, les gens habitaient dans différents endroits, dans Calais. Il y avait la jungle de Tioxide, il y avait ce qu'on appelait le bois du Brûle, le squat du fort Galou, qui était un truc qui avait été investi par le no borders et qui est une usine. Il y avait la jungle dite de Leader Price, qui était comme son nom l'indique derrière un grand magasin et qui était lié au fait qu'ici, ce virage de l'autoroute, il y avait souvent des ralentissements dedans et donc les gens pouvaient essayer de monter. Et puis il y avait quelques squats en ville un petit peu disséminés. Toute la géographie des squats et des jungles de Calais est lié à deux choses : d'une part le tunnel [qui est ici] et d'autre part le port [qui est là].
Ca, c'est le type de squat et de camp qu'il y avait à l'époque. Ca, c'était Fort Galou, c'était dans une usine en bois, il y avait une ambiance infernale, parce que c'est une usine avec une structure bois, il y avait quelques trous dans la toiture et pour se chauffer les gens faisaient du feu et donc il y avait un brouillard, une brume permanente au sein du bâtiment, c'était extrêmement dangereux.
Le plus grand camp à l'époque, c'était Tioxide, donc lié à une usine de peinture, qui était juste à côté et donc là pareil, il y avait ce grand gymnase dans lequel il y avait des tentes. C'était extrêmement dangereux, la seule entrée était [par ici], c'était un petit carré d'1m sur 1m et les tentes étaient à l'intérieur et on entrait et on sortait par là, il y avait vraiment un niveau de danger hallucinant.
Et puis donc, l'apparition dans le camp de Tioxide en général de ce que j'appelle le néo-vernaculaire, c'est à dire que ce sont des habitants des camps, des gens comme vous et moi, souvent ce sont des urbains, des gens qui viennent de villes, qui sont diplômés et qui sont contraints d'inventer des architectures avec les matériaux qu'ils ont. Et il y a tous ces modèles qui émergent, qui se déclinent à l'infini et sur lesquels les étudiants ont un peu travaillé, en se demandant comment ça répond à des questions techniques, sociales, environnementales, de réduction du risque. Par exemple, il y a des innovations : voyez cette structure [ici], elle est faite en poteaux de PVC et c'est une grande première en archi, personne n'avait jamais réussi à faire ça, parce que c'est quelque chose qui en même temps ventile le bâtiment et lui donne une structure. Et puis il y a toutes ces choses, ces attaches, par exemple les clous passent pas un bouchon pour que les toiles ne se déchirent pas et ne s'envolent pas.
Ca c'était le bois du Brûle, il y avait des Afghans d'un côté et des Soudanais, qui avaient à chaque fois leur type d'urbanisme particulier, leur type d'agglomération d'habitat, leur type de construction, qui étaient liés à des questions de sécurité, donc des cours notamment, qui appartiennent à différentes personnes et qui hébergeaient quinze personnes ici, douze personnes sur la première. On va les retrouver après dans la jungle de Calais.
Le 31 mars 2015, l'Etat et la ville disent que toutes les jungles, tous les squats, etc., de la ville, vont tous être fermés, on va tous les évacuer et vous allez pouvoir aller [ici] dans ce qu'on appelle la new jungle, ce nouveau terrain d'où vous ne serez pas expulsé, et ça c'est très important, parce qu'encore une fois ils disent qu'on ne vas pas être expulsé. Il y a eu une habileté parce que quand on propose un nouveau camp, il faut que les gens aient envie d'y aller et donc, ce qui se passait, c'est que là, on était le long de l'autoroute, encore une fois à un tournant donc à un lieu de ralentissement des camions qui allaient dans le port pour aller en Angleterre. Et donc, il y a une espèce de succès qui va se mettre en place très vite de cette nouvelle jungle parce que les gens voient qu'ils vont pouvoir monter dans les camions. Ce qu'il va se passer ultérieurement, on y reviendra après, mais en fait ce qui n'était pas dit, c'est que les contrôles sur les camions allaient augmenter de manière drastique et que la seule solution qui demeurait, c'était d'aller au tunnel et [vous voyez] qu'il est extrêmement loin, il y quinze kilomètres entre les deux, mine de rien. Et donc tous les soirs, vous avez des milliers de personnes qui font la marche de la jungle de Calais pour aller jusqu'au tunnel et il y en a extrêmement peu qui passe, un ou deux par jour, et qui reviennent au petit matin vers la jungle de Calais.
Au début, elle s'organise [comme ça], c'est le tout tout début. Ca se développe justement dans la partie Sud, il y a des petits groupements de personnes qui se mettent, mais il n'y a quasiment rien. Donc [là], vous voyez le positionnement, c'est à dire que juste au-dessus, il y avait des camions qui allaient vers la jungle et au début, il y avait des migrants qui se mettaient pour bloquer les camions, pour essayer de monter dedans. Ca donnait des scènes assez surréalistes, puisque avant les gens étaient littéralement là. Un camion, il faut savoir qu'on a pas le droit de le fermer, pour des raisons de sécurité, parce que s'il y a un incendie qui se déclenche, etc., il faut qu'on puisse l'ouvrir. Donc il y a quelqu'un qui se mettait devant, et à l'arrière, les camions étaient ouverts et les gens essayaient de monter.
[Ca], c'est le début de la jungle, début avril 2015. Et puis, très vite il y a des choses comme ça qui apparaissent. Il y a cette église érythréenne qui apparait, et qui va grossir, on va voir comment elle va grossir après. Il y a une mosquée. Et l'école qui commence à être construite, et puis des structures un peu "innovantes" à partir bois coupés. Il y a derrière la maison d'Alpha. L'autre mythe qu'il faut faire tomber sur Calais : les gens ne veulent pas forcément passer le lendemain en Angleterre. Les Soudanais ne sont pas spécialement pressés d'aller en Angleterre ou en France, le jungle de Calais s'est constitué en réponse à des non réponses du gouvernement, ça renvoie à ce qu'on disait tout à l'heure. En fait, quand vous êtes demandeur d'asile, etc., vous n'avez pas de lieu d'accueil en France. Donc il y a plein de gens qui ne savaient pas où aller, ils pouvaient aller dans la jungle de Calais, parce que là il y avait des réseaux de solidarité, etc. Je parle au passé mais c'est toujours le cas, il y a des réseaux de solidarité, on se passe des tuyaux, etc.
Et puis il y a des gens qui par provocation y ont été. Et c'est Alpha, qui construit sa maison, la maison bleue, sur la colline, qui s'invente ce permis de construire un peu ironique, et puis qui dit : voilà, c'est ça le logement social en France, [ça c'est la case de Casamance], et c'est ce qu'on fait de mieux en France comme hébergement social aujourd'hui. Cette case va devenir plein de choses après, elle va devenir une école d'art, elle a été démontée récemment suite à la démolition de la partie Sud et d'ailleurs, ironiquement, elle se promène cette maison. Elle va être exposée à Romainville bientôt et en Angleterre. C'est à dire que les habitants ne vont pas en Angleterre, mais les maisons oui.
[Ca c'était à l'intérieur de la maison d'Alpha]
D'autres structures qui apparaissaient dans le camp au début, une maison à étages...
En parallèle, moi je travaillais avec mes étudiants dans l'autre jungle, qui était toute petite à l'époque, il n'y avait que 60 habitants, à Grande-Synthe. J'écris Dunkerque à chaque fois, mais en fait c'est Grande-Synthe, une banlieue de Dunkerque, vous en avez entendu parler dans les journaux, parce qu'il y a un maire qui est beaucoup plus positif. Les étudiants avaient construit la première pièce de la halte de Grande-Synthe. [Ca] c'était un concept, c'était la maison du migrant, qui était portée par la plateforme de services aux migrants et le réseau des lieux hospitaliers. Et l'idée, c'était de faire un bâtiment qui fasse interface entre les associations et les habitants du camp et les habitants de la ville.
[Ca, c'est ce qui avait été conçu en juin 2015 par les étudiants, conçu et construit].
Et puis ce qu'il va se passer à Grande-Synthe, quand les étudiants y vont, il y a 50 habitants dans la jungle, mais en fait ça va monter à 3.000 habitants à l'automne 2015, ce qui va amener à la construction...
[Ca c'est la construction des étudiants comme elle avait évolué en décembre], et ça va amener à la construction du nouveau camp humanitaire, le premier camp humanitaire conçu par MSF à Dunkerque.
[Ca], le première pièce de halte a brûlé la semaine dernière, cette photo date de mercredi dernier. Mais c'est un mal pour un bien, il y a le nouveau camp qui a ouvert la semaine dernière à Grande-Synthe.
Pour revenir à Calais, vous voyez que l'église qu'on avait vue au début grossit et va brûler, il y a un petit incendie, elle brûle et elle devient beaucoup plus grosse et se place au centre d'un complexe où il y a ici une librairie, une école qui commence à apparaître et avec les étudiants du DSA "risque majeurs", on va faire le relevé de la jungle de Calais. Pourquoi on va faire ce relevé ? Ca renvoie à ce que je disais, aux trois rôles de l'architecte, on va donner à comprendre la jungle de Calais, pour qu'elle ait une existence politique, pour qu'on sache comment agir dessus, quelles sont les choses à faire, où est-ce qu'on peut s'implanter, comment on va faire en sorte de réduire le risque dans la jungle de Calais, comment on va faire en sorte que l'aménagement aille au mieux ?
Il y a également un travail qui se fait avec les habitants pour comprendre les parcours individuels des gens. Il y a plusieurs chemins, il y a une infinité de chemins. Dans la jungle de Calais, il ya des Afghans, des Syriens, des Erythréens, des Ethiopiens, des Soudanais, ce n'est pas représenté sur la carte, il y a beaucoup de Koweïtiens, des Touaregs koweïtiens qui viennent là et qui ont tous suivis des chemins extrêmement compliqués pour atteindre Calais.
Donc ça c'est la jungle en octobre 2015, avant qu'il y ait le camp de l'Etat qui s'installe. En octobre 2015, c'est le moment où il y a le plus de monde dans la jungle, il y a 7.000 personnes, qui sont à l'époque essentiellement dans la partie Sud, [qui est ici, le Nord est ici à droite], c'est essentiellement dans la partie Sud que l'urbanisme s'est développé au tout début. Il y a cette route principale, où il y a les commerces qui se mettent en place, il y a l'église [qui est ici], les restaurants afghans qui existent déjà, la boîte de nuit [est ici] à l'entrée, le théâtre à l'époque est [ici] mais viendra plus tard dans [cette partie ci] et donc tout le monde est plutôt dans la partie Sud. Et puis, il y a le village dit des no-borders, le village des familles, il y a des quartiers liés à des nationalités, on va y revenir plus en détail, [ici] ce sont des Soudanais, [ici] ce sont des Kurdes et Irakiens, [ici] également des Kurdes, des Syriens [ici], différentes nationalités qui se mettent en place, un peu par groupe, même s'il y a des échanges.
Les étudiants s'étaient séparés la zone en quatre sous-groupes, ça c'est la partie Nord-Est, donc vous voyez qu'ici il y avait surtout des Soudanais, des Syriens, des Ethiopiens ici.
[Ca] c'est l'analyse des risques, les risques inondations, les risques incendies. C'était avant l'hiver, donc il n'y avait pas encore le risque tempête, pas tellement évalué, mais bien sûr il y a des grosses tempêtes à Calais et à Dunkerque d'ailleurs, on avait vu que le camp qu'on a vu à Grande-Synthe, à l'origine de Médecins sans Frontières, il était prévu en tente, mais toutes ces tentes se sont envolées dans une tempête et c'est pour ça qu'il est devenu en bois.
[Ca] ce sont les équipements qui se mettent en place. Il y a plusieurs écoles, la mosquée, les toilettes en général étaient mises en place par des associations.
[Ca] c'était le théâtre. Très vite, il y a eu une énergie qui va se mettre en place, il y a beaucoup d'Anglais notamment qui vont venir. Donc il y a deux faces à l'Angleterre, parce que l'Angleterre d'un côté est horrible et froide parce que c'est elle qui ferme sa frontière et la jungle de Calais n'existerait pas sans cette frontière qui est fermée, et puis il y a plein d'Anglais qui sont révulsés par la politique de leur gouvernement, et qui viennent s'investir très fortement dans la jungle et qui viennent construire des choses. Ca c'était le théâtre, le Good Chance theatre dans lequel il y avait Joey Jo - j'en parle au passé encore une fois, ça existe encore - qui habite dedans, et ça va être un lieu où beaucoup de choses vont se passer.
La seule intervention d'Etat à l'époque, c'était le camp Jules Ferry, qui s'appelait aussi Salam, où il y avait 130 hébergements pour femmes et enfants. Donc c'était notoirement insuffisant, et puis surtout, dans tous ces trucs, aussi bien les camps de containers dont vous avez entendu parler que le camp Jules Ferry-Salam à l'époque, le problème, c'est que quand vous êtes pris en charge dans ces camps, vous ne pouvez rien faire, vous n'avez même pas le droit de mettre une boîte à chaussures. Vous avez le droit de dormir, on prend votre identité, vous avez le droit de manger, mais vous n'avez le droit de rien faire. Vous devez attendre en fait, attendre que vos papiers soient instruits, etc., donc c'est extrêmement long et en fait les gens, finalement, préfèrent aller dans la jungle, puisque dans la jungle il y a des choses à faire. Chose aussi importante : il y a un repas par jour qui est distribué à Salam, tous les jours à 17h, il y 2.500 repas distribués. Mais il y 7.000 personnes, 2.500 repas, c'est un seul repas qui est distribué, à cette heure bizarre où il faut attendre pendant deux heures, donc ça ne correspond pas du tout aux besoins, les gens préfèrent rester dans la jungle parce qu'il y a les boutiques, les commerces, etc., où ils peuvent faire leurs affaires.
Et il y l'histoire du règlement de Dublin : c'est le premier Etat où vous êtes enregistré qui va instruire votre demande d'asile et c'est là que vous serez inscrit si votre demande d'asile est acceptée, donc si vous le faites en Grèce, après vous serez assigné à résidence en Grèce, donc tous ceux qui veulent aller en Angleterre, il faut surtout qu'ils ne déposent jamais leurs empreintes digitales avant d'avoir atteint l'Angleterre, sinon ils ne pourront jamais aller en Angleterre. Et donc effectivement à Jules Ferry, il fallait déposer ses empreintes. Dans le camp des containers, ils ont trouvé une espèce de parade, c'est que l'empreinte se fait sur la paume de la main, comme ça ils disaient : "là, vous n'êtes pas obligés d'aller là".
Et puis là, toujours en octobre, c'était le début des ONG internationales qui s'investissent, ça c'est Solidarité internationale, c'est une ONG spécialisée dans les sanitaires, qui avait mis en place les toilettes dans la jungle.
On s'aperçoit qu'il y a des typologies d'habitat qui sont liées aux nationalités. Les Syriens, il y les Kurdes syriens et le Syriens non kurdes. Les Syriens non-kurdes, eux en général, ils espéraient toujours aller dès le lendemain en Angleterre, donc ils s'investissaient très peu, ils ont juste des tentes et à chaque fois il y a l'espoir de partir le lendemain, souvent ce sont des gens très jeunes, des mineurs, dont les parents sont déjà en Angleterre mais qui n'ont pas le droit d'y aller, des gens de 15-16-17 ans, encore une fois qui nous ressemblent à un point étonnant, ça pourrait être vos petits frères, et qui sont là, et qui essaient de passer, donc à l'époque, ça se faisait au niveau du tunnel.
Les Soudanais eux, c'était l'inverse, ils ne s'énervaient pas tellement, ce sont des gens assez cool les Soudanais. Est-ce qu'ils seraient acceptés en Angleterre, est-ce qu'ils seraient acceptés en France ? Ils savaient que ça allait prendre du temps, mais eux, ils avaient les structures architecturales et urbaines les plus sophistiquées.
Et les Éthiopiens, ils sont un peu entre les deux. Eux voulaient plus certainement aller en Angleterre parce qu'ils avaient plus de famille là-bas, plus de facilités linguistiques, et il y avait un autre type de structure qui se dessinait.
J'avais demandé aux étudiants de bien nommer les lieux, que chaque cour, que chaque agglomération de maison ait un nom, justement pour qu'il y ait une identité. Et donc là, vous voyez par exemple que ce camp là, il y avait 24 Soudanais, 6 Afghans, donc ça se mélange quand même entre les nationalités, et puis en l'occurrence, là il y avait trois coins cuisine, une douche et des cours centrales. C'est une structure qu'on va retrouver assez souvent dans la jungle de Calais.
Les chemins individuels : Yasser, lui, 45 jours pour arriver à Calais en partant du Soudan. Il a été très vite par rapport à d'autres, il a eu de la chance, peut être qu'il a payé, peut être qu'il était plus débrouillard, etc., mais il aura mis qu'un mois et demi à arriver.
Les typologies des maisons : structures en bois, couvertures en bâche, les seuils et puis l'intérieur des maisons elles-mêmes, qui sont beaucoup plus confortables que ce qu'on pouvait imaginer. L'intérieur des maisons est très propre souvent, très cosy. Il y a des tapis au sol, des beaux couvre-lit, des armoires, les murs sont isolés avec des tissus épais, donc il y a une sensation de confort et de chaleur à l'intérieur. Par contre souvent, c'est assez mal ventilé, il n'y a pas de fenêtre, ou peu.
[Là], c'était le quartier syrien, donc ce n'était que des tentes pour le coup.
[Donc là] vous voyez que lui avait mis deux mois par contre pour atteindre Calais.
Là c'était vraiment du camping pour le coup.
Des procédés pour tenir les tentes, vous voyez qu'il y a des grosses pierres utilisées parce qu'il y a des grosses tempêtes.
... d'autres maisons soudanaises...
... lui, c'est le record absolu, 18 jours, voyez, il est politologue, professeur universitaire et imam. Au Soudan, c'est... on parle de la Syrie, mais on parle pas de l'Erythrée, du Soudan, c'est absolument terrible, il y a des rebelles et des officiels et si vous n'êtes pas dans un camp ou un autre, eh bien vous êtes considérés comme un ennemi, vous êtes considéré comme de l'autre camp et donc on vous tire dessus. Tout le monde doit partir, les hommes en particulier.
Ca, c'est une cuisine, avec une structure bois faite avec des branches d'arbre et donc voilà, qui était en même temps ventilée. Voyez le type de structure qu'ils pouvaient faire.
Il y a aussi des modes constructifs hérités des pays d'origine, par exemple le dôme soudanais. Ce sont des dômes constitués à partir de branchages et c'est quelque chose qui va se retrouver dans la jungle de Calais. Avec des assemblages, là en étoile et donc ce sont des systèmes qu'on va retrouver assez régulièrement.
Maintenant on passe au secteur soudanais. Je demandais aux étudiants d'analyser les chemins, comment les gens se déplacent dans la jungle.
Encore une fois les populations, vous voyez que c'est différent, il y avait des Iraniens, des Afghans, des Erythréens, des Soudanais. Pareil, questions d'analyse des risques : les risques incendie et comment les limiter.
Et puis les typologies d'habitat : cours publiques, cours privées, cours semi-privées.
Et ces systèmes de cour qui se développent.
Celle-là, c'était l'une des plus sophistiquées, qui existait encore la semaine dernière, qui malheureusement a été démolie, c'est la cour qui s'appelle "Darfour is bleeding" - Darfour, c'est cette région soudanaise qui est soumise à la guerre dont je vous parlais - et là, on va voir qu'il y a un système extrêmement sophistiqué.
Donc on rentre par [ici], il y a ici des structures assez basses où il y a les couchages, elles font à peu près 1m20 de haut, elles sont très fermées avec des bâches noires, il y a un sas pour que le froid ne rentre pas et les couchages qui sont mis ici, qui font un côté de la cour.
Par ailleurs, il y a le stockage ici, au contraire on peut être debout, c'est très bien fermé pour être protégé de la pluie, etc., pour être protégé des animaux aussi, des rats, etc., pour qu'ils ne viennent pas manger.
Après, il y la cuisine, qui est bien ventilée, qui est isolée, comme ça s'il y a le feu, le feu ne se propage pas partout, assez lumineuse.
La salle à manger ici, très lumineuse, pas trop ventilée pour qu'on soit à l'aise.
Et puis les douches, un peu à part. Donc il y a toujours des douches, il n'y pas une structure où il n'y pas de douches. Une douche, c'est quoi ? On se lave avec des bouteilles d'eau, mais c'est une structure qui n'est pas loin de chez soi, où on peut se laver, il y a un travail qui est fait sur le sol pour que ça ne soit pas un cloaque au sol.
Une autre cour, plus petite, la cour dite de Mango.
Souvent, les gens parlent grec ou italien, parce qu'ils ont souvent séjourné assez longtemps en Grèce ou en Italie avant de pouvoir partir au Nord, donc c'est assez surprenant, mais le grec est une langue couramment parlée.
On arrive au secteur Sud-Ouest. Maintenant, celui là est complètement rasé, mais qui était le secteur où il y avait le plus de vie à l'époque, où il y avait tous les restaurants afghans notamment. Un restaurant afghan, c'est un investissement, ça coûte 6.000 euros, c'est pas rien. On dit même qu'il y a des Afghans de Paris qui ont été investir là-bas. Les Afghans, c'est connu dans les milieux internationaux, ce sont des gens très entrepreneurs et très commerçants, qui peuvent être durs en affaire par contre. Les autres populations - il y a ce rapport un peu au capitalisme - ils aiment bien en dire du mal, il ne les aime pas tellement, mais en même temps, ils ont besoin d'eux, parce que c'est vrai qu'ils apportent une espèce de structure, c'est eux qui montent les commerces les plus gros, les restaurant et finalement qui donnaient un service à l'ensemble de la population.
[Ca], ce sont les habitats qui ont été étudiés de plus près : un restaurant afghan, un habitat érythréen, une boutique afghane, etc.
Voilà les populations telles qu'elles se répartissaient. [Ici], surtout les Afghans, où il y avait tous les commerces. Autour de l'église, les Erythréens, des Kurdes ici, les Soudanais qui étaient le long de la route, et d'autres Kurdes et des familles, qui étaient liés ici à un village construit par les "anar" anglais qui s'appellent les no-borders.
[Ca], c'est l'évolution du site de juillet à octobre, qui avait monté en densité, et ça avait encore monté après.
Un restaurant afghan, comment c'est structuré ? Ce sont des grandes banquettes, qui peuvent servir d'autels, la nuit on peut dormir sur ces banquettes et même le jour d'ailleurs. Et en même temps, c'est là qu'on mange, donc il y a des tables basses, on va prendre son plat ici. Les plats pour les français, les anglais, sont entre 5 et 8 euros, et ils peuvent être gratuits, pour les gens qui n'ont pas d'argent. Donc il y a une espèce de milieu comme ça qui se trouve et en plus, c'est extrêmement bon, c'est extrêmement varié et extrêmement bon.
Les boutiques. La mairie de Calais se plaint beaucoup, mais il faut savoir que ces boutiques sont approvisionnées par les supermarchés de Calais. Il y avait un monsieur qui travaillait dans un magasin de matériaux de Calais, sur l'été - il y en a quatre ou cinq des magasins de matériaux - rien que dans son magasin à lui, il y avait 80.000 euros de chiffre d'affaire qui avait été fait, rien que de matériaux pour construire la jungle de Calais. Donc ils se plaignent, mais en fait, c'est une inscription quand même dans l'économie locale.
On passe au secteur Nord-Ouest, avec les cours érythréennes, qui sont plus ouvertes.
Là ce sont des photos de la semaine dernière, c'est l'évacuation de Calais. Là c'était vraiment horrible, parce que ça a été extrêmement vite et ça a été extrêmement violent, c'est à dire que les gens n'avaient même pas le temps de récupérer ce qu'il y avait. Là, typiquement, c'est un restaurant et vous voyez que le gars a juste eu le temps de prendre sa vitrine, il y a les flics, ça les fait rigoler, il est obligé de laisser toutes ses casseroles, etc., tout le matériel de son restaurant. C'est évacué, et après ils mettaient le feu, carrément.
Le jugement avait dit qu'ils n'avaient pas le droit de détruire les lieux de vie et les bâtiments publics. Alors est-ce qu'une maison est un lieu de vie ? Les flics ont décidé que non, c'était pas un lieu de vie. L'église a été sauvegardée. [Ca], c'était l'église à l'origine, ça c'est l'église la semaine dernière. Et donc vous voyez que tout autour, c'est un paysage de désolation, tout est cramé, etc., et il y a cette église. Il y a l'école également qui a survécu, où les enfants ne vont plus parce qu'elle est isolée et au milieu de nul part."