→ Mozer Frédérique

Après une formation en sociologie et travail social, Frédérique Mozer a commencé à travailler à la Fondation Abbé Pierre à Paris en 2000, sur diverses missions de développement de projets de logements accompagnés aux côtés du réseau associatif national. Elle est en charge de l’agence régionale Languedoc-Roussillon—Midi-Pyrénées depuis 2014.

Réflexion sur le mal logement en France en 2016

Présentation de la conférence

Cette intervention de Frédérique Mozer, à l’occasion de la journée d’étude Habitat et précarité le 17 mars 2016 à l'isdaT, propose une réflexion sur les difficultés d’offrir un hébergement pérenne aux personnes sans domicile. Elle présente le travail d’acteurs associatifs comme la fondation Abbé Pierre et Emmaüs pour trouver des solutions d’accès au logement et à l’emploi. Après une formation en sociologie et travail social, Frédérique Mozer a commencé à travailler à la Fondation Abbé Pierre à Paris en 2000. Elle est en charge de l’agence régionale Languedoc-Roussillon—Midi-Pyrénées depuis 2014. Dans son intervention, elle présente d’abord la Fondation Abbé Pierre, dont la création fait suite à plusieurs mouvements initiés par l’appel de l’Abbé Pierre à la générosité publique en 1954. On trouve parmi ces mouvements Emmaüs, dont le positionnement et les actions s’organisent autour de 3 aspects : sensibiliser, interpeller et agir. Les communautés Emmaüs ont imaginé une nouvelle façon d’envisager le travail salarié en se fondant sur une économie sociale et solidaire. Les compagnons sont logés, blanchis et nourris en échange de leur travail. Elle aborde ensuite les enjeux de l’accès et du maintien en hébergement et au logement pour les plus précaires, qui est un processus long et difficile à ancrer dans le temps, et insiste sur l’importance d’un accompagnement personnalisé comme celui fourni par la fondation Abbé Pierre. Enfin, elle donne des éléments sur la production de logements sociaux dont les délais de construction peuvent s’étaler sur plusieurs années, alors que les besoins sont urgents. Elle alerte également sur la dégradation des logements privés qui mènent parallèlement à la précarisation d’un grand nombre d’individus.

Retranscription de la conférence

Le texte ci-dessous est une retranscription brute de l’audio de l’intervention. Elle n’a pas fait l’objet de réécriture de la part des intervenants.

Entretien entre Frédérique Mozer et Gaëlle Pellissier
FM

"Bonjour. On voulait vous projeter quelques témoignages de personnes concernées par les questions de précarité liées au logement, donc peut être je vais démarrer mon propos pendant que les choses s'installent.

Vous dire d'où on parle : déjà, on est venu à deux, on est venu avec une atypique du travail, comme le décrivait Mireille, qui est Gaëlle Pellissier, qui est le prototype de ce que vous venez de décrire, si je peux me permettre de te qualifier comme ça Gaëlle, qui est quelqu'un qui a un fait un master 2 de développement social à Montpellier, qui a travaillé avec nous pendant une longue année en stage, qui est maintenant en recherche d'emploi, qui n'est éligible à aucun contrat aidé, à aucune subvention pour entrer sur le marché du travail au regard de sa situation, et qui du coup à décider quand même de continuer à se mobiliser dans le champ du logement et du social, et qui nous a rejoint comme bénévole à la Fondation Abbé Pierre dans la Fondation Abbé Pierre, donc on s'est dit qu'on allait aujourd'hui vous parler de ces questions toutes les deux, parce qu'on avait chacune un point de vue un petit peu différent.

Ces présentations étant faites, peut être que je vais essayer de me caler pour introduire le propos sur le déroulé que vous avez proposé par rapport à la question du travail en faisant le pendant du point de vue du logement, de manière extrêmement succincte, avant de rentrer dans le vif du sujet à partir de témoignages concrets et vous donner à voir la situation des gens qui sont aujourd'hui et sans travail et sans toit.

La Fondation Abbé Pierre est à resituer dans l'histoire du mouvement Emmaüs et de l'Abbé Pierre en tant que tel, puisque vous avez certainement entendu parler de l'appel de 54 de l'Abbé Pierre, qui à l'occasion de décès dans la rue, nombreux, devant lesquels il se sentait impuissant, a lancé un appel sur les ondes pour que les personnes se mobilisent, de manière à activer ce qu'on a appelé la générosité publique, en vue d'une plus grande solidarité envers les plus démunis. C'était un hiver extrêmement froid en 1954, où bon nombre de gens sont restés sur les trottoirs et en sont morts, et l'abbé Pierre a lancé à cette occasion les premiers hébergements d'urgence, avec des tentes qu'il a installées dans Paris, et puis, petit à petit, mobilisé des lieux pour accueillir les personnes qui étaient à la rue.

La philosophie du mouvement Emmaüs, qui s'est développé à partir des années 1950, se caractérise à travers différents types d'organisations qui aujourd'hui sont rassemblées dans ce qu'on appelle le mouvement Emmaüs, qui a plusieurs branches d'activités, la première étant la branche de la communauté. Le principe de la communauté - vous en avez ici autour de Toulouse, à Labarthe plus précisément - c'est que vous êtes accueilli, vous êtes nourri, blanchi, logé, en contrepartie de votre travail. Mais un travail qui, contrairement à ce qu'on vient de décrire, n'est pas un travail avec une attente de productivité maximum, puisque l'idée, c'est de produire sous une forme d'auto-suffisance. L'idée de la communauté Emmaüs, c'est de se dire : on redonne une deuxième vie à tout ce qui est de l'ordre du rebus, on récupère, on va chercher, on fait la ramasse, on va reprendre des objets qui sont quelque part en fin de vie, ou recréer de l'activité à travers des objets qui ne sont plus utilisés, et de là on va leur donner une deuxième chance, en même temps qu'à nous on va se donner une chance, nous êtres humains. Et on va pouvoir revendre ces produits là qu'on aura retapés, rénovés, recustomisés, pour leur donner effectivement derrière à la possibilité de repartir sur le marché, de recréer de la richesse et du coup, d'en vivre au sein de la communauté Emmaüs.

Je vous dis ça parce que le statut du compagnon par rapport au statut du travailleur, par rapport au Code du travail, il est très particulier, puisque pendant longtemps il était un peu en dehors de tout, le compagnon, quand il rentrait dans une communauté Emmaüs, il renonçait à ses droits sociaux, à ses droits au sens de la solidarité. C'est encore le droit aujourd'hui, si ce n'est qu'il en ouvre d'autres, depuis maintenant un certain nombre d'années. Le statut du compagnon Emmaüs, c'est quelqu'un qui, quand il va rentrer dans la communauté, va pouvoir au regard de son boulot cotiser à la sécurité sociale, à la caisse de retraite, il ouvre ses droits là. Par contre, il ne cotisera pas au chômage. Ce n'est pas quelqu'un qui, quand il sortira de la communauté si il décide un jour d'en partir, va pouvoir aller au Pôle emploi en disant : je voudrais faire valoir mes droits parce que ça fait quatre ans que je travaille dans la communauté Emmaüs. Le compagnon, il a un statut un peu à part, où il vit de son travail, il est donc nourri, blanchi, logé, mais en même temps dans la communauté. Il produit pour son propre compte, il cotise pour ses soins et sa retraite, mais par contre, il n'entre pas dans le marché du travail dont on vient de parler, d'une manière aussi classique que le travailleur lambda.

Ce détour fait par le parallèle avec le droit du travail, vous redire que sur le volet des communautés Emmaüs, elles se sont développées de manière massive à partir des années 1950. D'autres activités se sont développées dans le mouvement Emmaüs, axées en grande partie autour de l'activité économique, que l'on a appelée "économie sociale et solidaire" dans un temps récent. Et ces activités sociales et solidaires, elles sont menées soit par un groupe de bénévoles, soit dans le cadre des politiques de l'IAE (Insertion par l'activité économique), avec des chantiers d'insertion, des entreprises d'insertion, qui produisent des choses toujours autour de la deuxième vie, de la transformation, de la récupération. Vous avez par exemple beaucoup de choses autour du traitement des textiles, les bennes que vous voyez en ville Le relais, qui traite les textiles et qui le reconditionnent par exemple, sont un bel exemple de quelque chose qui est devenu une véritable entreprise nationale et internationale aujourd'hui, mais qui est née d'une association locale dans le Nord et qui a eu vraiment une vocation de promouvoir le travail pour les personnes qui en sont très éloignées.

Dans ce mouvement, on a eu en parallèle des actions qui ont été développées dans le cadre de ce qu'on pourrait appeler les politiques sociales en tant que telles. Puisque parallèlement les années 1950, la générosité publique, l'appel de l'abbé Pierre, c'est le volet plutôt caritatif où on s'organise entre nous. Les années 1950-1960 ont vu aussi se développer très massivement les politiques de solidarité nationale et d'aides sociales. Le code de l'aide social et de la famille prévoit, aujourd'hui encore, que des dispositifs existent, sont financés par l'Etat, c'est encore aujourd'hui une politique d'Etat, certainement plus pour très longtemps, mais en tout cas, c'est encore une politique de solidarité nationale que de développer sur l'ensemble du territoire des centres d'hébergement, qu'ils soient d'urgence, de stabilisation temporaire ou d'hébergement et de réinsertion sociale, comme on les qualifie aujourd'hui, qui sont financées, sous forme de dotation globale, à l'année, par les fonds d'Etat, avec des salariés qui sont là pour accueillir et accompagner les personnes qui sont exclues du travail et du logement. C'est intéressant de regarder l'évolution des choses en parallèle : vous avez cette solidarité politique sociale qui se développe de manière massive, encore à l'œuvre aujourd'hui, avec des compétences qui au regard des réformes territoriales se re déploient, se re dispatchent aujourd'hui entre les métropoles, les départements, les régions et qui justement vont certainement encore évoluer dans les mois qui viennent. En tout cas, ce devoir de solidarité nationale et de politique d'aide sociale, c'était encore jusqu'à hier une politique de solidarité Etat, centralisée, parisienne, extrêmement imposée.

Parallèlement à ça, vous avez toute la politique du logement qui elle s'est développée massivement, et c'est là que la Fondation Abbé Pierre est active depuis plus de vingt ans. La politique du logement, la France est un pays en Europe qui a une particularité, c'est qu'elle a un parc important de logement social, porté par des bailleurs sociaux, qui sont des organismes HLM, qui étaient après-guerre les habitations bon marché, les HBM si mes souvenirs sont bons, et qui sont nés de cette volonté de reconstruction du pays après la Deuxième Guerre mondiale, dans la même période que les Trente glorieuses, avec ce souci de proposer aux gens du logement neuf, du logement clair, avec des normes d'hygiène meilleures que celles qu'ils connaissaient jusque là, et du logement qui soit produit en masse. Donc c'est là qu'on a vu naître les grands ensemble, avec tous ces quartiers qui sont devenus aujourd'hui des quartiers sur lesquels on est sur des politiques de rénovation urbaine, de remobilisation des habitants, de réappropriation, de politiques de mixité, tous ces discours que vous entendez très régulièrement aujourd'hui sur les ondes, et qui sont une véritable préoccupation pour l'ensemble de la population. C'était dans les années 1960-1970 quelque chose qui était extrêmement prisé, et habiter un logement social en périphérie de l'Ile-de-France, c'était une promotion sociale. Aujourd'hui, c'est une dégradation dans l'esprit des gens quand on leur propose un logement de ce type dans certains quartiers.

Donc se rendre compte aussi qu'au fil des ans, les choses ont largement évolué. Et cette politique du logement social, c'est quelque chose qui est assez spécifique à la France, puisqu'on a ici dans notre pays un nombre de locataires important de ce parc social, ce qui n'est pas le cas d'autres pays européens, où le rapport à la propriété est beaucoup plus important et on se loge quand on peut acquérir un bien dans lequel on peut s'installer, mais on est pas forcément locataire. Donc le statut de locataire est quelque chose qui est très très lié à l'histoire de notre pays. On reviendra sur tout ça si vous voulez, c'est juste pour vous donner une vision du paysage.

Donc ce logement social, si la Fondation Abbé Pierre s'est consacré à ces questions là principalement depuis maintenant un peu plus d'une vingtaine d'années, c'est parce que depuis l'appel de l'abbé Pierre en 1954, les premières tentes qu'il a pu installer sur le territoire de l'Ile-de-France, le développement massif des communautés Emmaüs en France et à l'international, la naissance et le développement du logement social - on loge, on a un statut de locataire, on est chez soi, toute la législation et la réglementation qui va avec le fait d'avoir un droit à habiter jusqu'à la loi droit au logement, qui a été votée en 2007 (loi Dalloz) - on est sur des questions de statut. Comme le statut de travailleur qui cotise et derrière acquiert des droits, le locataire a des droits. Le parc privé aujourd'hui, qui est aussi occupé par des gens qui souvent ont des ressources qui se dégradent et qui ont du mal à entretenir ce parc privé, c'est aussi avoir un droit de propriété avec un statut d'habitant qui est un statut important. Seulement, la réalité des choses fait que le rapport entre proposition de logement et offre de logement, montant de loyer et ressources des personnes, ou acquisition des logements dans un parcours locatif où on est jeune ménage, on a un premier emploi, on va être locataire du parc social, puis on va être locataire du parc privé, et quand on on a un peu d'épargne, on va acquérir son premier logement, et puis on va s'installer et avoir une longue vie tranquille de propriétaire, avec son petit pavillon, ça c'est quelque chose qui est complètement mis à mal depuis maintenant une bonne vingtaine d'années, pour un certain nombre de raisons : économique, on l'a dit, pour des raisons de précarité, mais aussi parce qu'on a sur le territoire national une croissance importante, des gens qui sont exclus de tout ça, parce que non seulement ils n'ont pas de travail, mais aussi parce qu'ils n'ont plus accès à l'ensemble de ces dispositifs d'aide sociale, d'hébergement, voire d'accès au logement social.

Aujourd'hui vous avez une tension sur l'ensemble du territoire qui est extrêmement forte entre l'offre et la demande. C'est à dire qu'aujourd'hui, vous avez un besoin par exemple sur le territoire national d'une production d'environ 500.000 logements par an, nécessaires pour répondre seulement à la demande des gens qui ont aujourd'hui les ressources qui correspondent au plafond des loyers du logement social. Et puis vous avez une production sur le territoire qui peine à être à 200-250.000 les meilleures années, on est à 225.000 ces dernières années en termes de production de logements. Tout ça parce qu'on a une organisation de notre manière de produire du logement sur le territoire qui s'est certainement complexifié, avec des codes qui se croisent, qui se complètent, qui se répondent et qui parfois ne sont pas complètement cohérents entre eux et qui ont tendance à gripper la machine plutôt qu'à la rendre plus fluide. Et parce qu'effectivement, on a une vraie difficulté à avoir la réactivité nécessaire en termes de production.

Le chantier, le bâtiment en tant que tel est un levier important. Souvent la politique du logement - on écoutait encore Emmanuelle Cosse en venant vous rejoindre ce maintenant, qui est notre dernière ministre du logement, dernière en date, puisque ça change de manière assez régulière - la relance de la production du logement social, c'est aussi une manière de relancer l'économie et de créer de l'emploi, donc sur les territoires, on voit que c'est aussi la manière dont les politiques locales peuvent s'en emparer. Ceci dit, entre le moment où vous allez décider de produire un programme dans le cadre par exemple de l'obligation de produire 25% de logement social sur un territoire, dans le cadre de la loi de solidarité et de renouvellement urbain, la fameuse loi SRU, vous allez essayer de développer un programme sur un territoire donné. Entre le moment où l'intention est dans la tête de l'élu, où la programmation va être lancée, où les moyens financiers vont être mobilisés, le chantier être réalisé - je vous passe toutes ces tribulations dont les collègues ici architectes et maîtres d'œuvres sont très au fait - vous avez souvent des délais qui peuvent aller entre deux, trois, quatre, cinq ans. Une opération de logement social qui sort en un an, c'est un miracle, c'est quelque chose d'assez exceptionnel.

Donc vous voyez que le rattrapage de ce décalage entre le besoin, l'offre et la demande, il est quand même extrêmement périlleux. Le parc privé est beaucoup plus performant que le parc public. Vous avez une opération sur le parc privé, les élus ne vont pas prendre le temps d'aller forcément mobiliser l'ensemble de la population du cœur de ville de Nanterre ou de Toulouse, pour aller présenter - quand il y a une résidence privée qui va se monter par un opérateur type Nexity ou un autre - il ne va pas prendre le soin d'aller réunir tous les habitants du quartier pour leur dire : "mesdames et messieurs, nous allons maintenant construire sur ce quartier une opération de logement, il y a aura 25% de pré social, avec certainement des personnes en grande précarité, nous allons y introduire dix places de centres d'hébergement, et quinze places de résidence sociale, surtout n'ayez pas peur, ce sont des gens comme tout le monde, mais quand même on tenait à vous prévenir." Vous imaginez bien que ça, ça va souvent rassurer tout le monde et que derrière nous avons au delà des procédures administratives et financières, les pétitions qui vont surgir, la levée de boucliers, et toutes les tensions qui sont liées aujourd'hui à la manière dont on se referme sur soi et dont il est plus facile d'avoir peur de son voisin ou de la personne dont on ne sait pas exactement comment répondre à sa demande quand on la voit tendre la main sur le trottoir.

Si je vous balaie d'une manière extrêmement large et un peu général, les liens entre la précarité par rapport à l'emploi, la question de la Fondation Abbé Pierre dans le mouvement Emmaüs, la question de la production de logement et des politiques sociales aujourd'hui sur le territoire, c'est pour vous dire que finalement nous aujourd'hui, Fondation Abbé Pierre, qui n'avons jamais qu'un peu plus de 20 ans d'existence, puisqu'on a été créé dans les années 1990 pour gérer tout ce flux de moyens qui étaient encore aujourd'hui adressés à l'abbé Pierre suite à son appel de 1954, même après son décès. Aujourd'hui, nous, la Fondation Abbé Pierre, on est sur le champ du logement strictement. Notre premier boulot - et là on va en parler de manière concrète - c'est de sensibiliser la population à ces questions, c'est votre cas aujourd'hui et si vous êtes là, c'est que ce sont des sujets qui vous intéressent ; c'est de communiquer et de faire connaître tous ces décalages avec des analyses beaucoup plus fines que ce que je viens de vous balayer très rapidement, en terme économique, sociologique, géopolitique, sur ces enjeux du logement aujourd'hui sur un territoire comme le notre et au niveau européen de manière un peu plus large, voire au delà ; et c'est aussi de pouvoir agir aux côtés des plus fragiles.

Pour agir sur le terrain aux côtés des plus fragiles, le parti pris de la fondation, c'est de travailler avec le réseau associatif, sur ces problématiques de logement et d'essayer de mettre autour de la table les acteurs qui peuvent permettre de réfléchir autrement, et de produire des solutions un peu différentes pour des gens qui sont exclus de tout, et de voir comment on peut les produire avec eux et pas en parallèle ou de manière complètement décalée par rapport aux attentes ; et c'est aussi d'essayer d'accompagner en étant un peu un effet levier, y compris financièrement, puisque notre premier métier, c'est de collecter des moyens, des les redistribuer, de voir comment on peut accompagner financièrement des initiatives originales qui soient au service encore une fois des plus fragiles.

On a plusieurs manières de faire pour intervenir dans ce sens là. On participe à des programmes de logements sociaux avec des opérateurs associatifs, on est sur des actions qui vont veiller à essayer de lutter contre la réapparition des taudis - on parlait tout à l'heure du développement du logement locatif et du parc HLM, des propriétaires qui n'ont pas les moyens d'entretenir leurs logements - aujourd'hui on a un parc privé dégradé, qui consomme une énergie considérable, qui coûte très cher aux gens qui les occupent et qui doivent faire l'objet de rénovations thermiques, énergétiques, pour lutter contre cette précarité. Et ça, ce sont des choses qui sont entendues, mais qui doivent être encore plus, c'est l'une des interventions fortes de la fondation ces dernières années, et on est aux côtés des opérateurs à travers des programmes de soutien des opérations de rénovation des habitants dans ce sens là. On en a un certain nombre d'autres : on a des actions autour des "quartiers sensibles", comme on les appelle dorénavant, en essayant de travailler aux côtés d'initiatives d'habitants, pour faire monter des propositions qui viennent quelque part de l'intérieur, et d'accompagner une dynamique locale plutôt que d'accompagner des politiques publiques qui ont montré leurs limites, tout en étant toujours en lien entre l'action de terrain et le développement de nouveaux programmes, qui peut-être demain, dans la manière dont on va pouvoir les porter à connaissance de nos élus et de nos décideurs, pourront être intégrés à des politiques publiques futures. Ca c'est le travail de la fondation, qui est sur le terrain et en terme d'analyses sur de la production de rapports annuels.

Et concrètement, on est en lien avec un certain nombre d'associations, à travers des logiques de réseau ou de mobilisation de droit et d'acteurs pour essayer d'accompagner ces initiatives. Et les deux petits films qu'on vous propose de vous présenter, ce sont des témoignages qu'on a utilisés pour la présentation de nos rapports annuels l'année dernière, qui étaient sur le sujet de la précarité par rapport au logement, de gens qui sont sur Montpellier - alors désolé, on est Languedoc-Midi-Pyrénées, mais c'est tout frais, Midi-Pyrénées la découverte va avoir lieu dans les mois qui viennent - là ce sont deux petits films qui ont été tournés sur Montpellier, à la fois de gens qui fréquentent les accueils de jour, donc qui sont les premiers lieux d'accueil où les gens peuvent venir prendre un café, prendre une douche et faire valoir leur droit à la domiciliation, pour avoir une adresse et commencer un certain nombre de démarches. Et puis des gens qui sont dans une étape proche du logement, avec un statut d'occupant plus tranquillisé, qui sont les portions de famille ou maisons relais, qui sont des résidences dans lesquelles les gens ont un logement, un vrai logement, une clef, une adresse, un statut d'occupant ordinaire, mais qui en même temps sont encore à l'intermédiaire entre le complètement indépendant, avec une présence qui permet à ce qu'on veille à ce qu'une dynamique collective, un peu à la mode Emmaüs, soit impulsée et qu'il puisse se passer quelque chose de collectif, pour avoir en même temps une présence et une attention particulière pour des personnes qui ont un parcours très atypique et très abîmé. Des dispositifs comme ceux-ci, il y en a Montpellier, il y en a à Toulouse, on en connaît un certain nombre si ça vous intéresse d'aller rencontrer les partenaires, on vous donnera les contacts. En tout cas, on voulait vous faire partager le témoignage de ces gens qui vivent ces questions au quotidien, pour compléter le propos et vous inviter derrière à des questions plus précises en fonction des sujets que vous souhaitez qu'on aborde.

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Le travail qui va être présenté là est le travail qu'a préparé Gaëlle l'année dernière pour la présentation de notre rapport. C'est elle qui a mené les interviews et construit la présentation en question.

(installation)

Film

Voilà, tout est dit, plus vous êtes dans la mouise, plus c'est compliqué de trouver une solution, que ce soit au niveau du travail ou que ce soit au niveau du logement et de l'hébergement. Tu veux dire quelque chose ?"

GP

"Bonjour, je prends la parole. Je tenais à rappeler quelques chiffres qui sont assez parlants, puisque la fondation a travers ses grands axes d'innovation a quand même un rôle d'expert grâce à la publication chaque année de ses rapports mal-logement, nationaux, avec des éclairages régionaux depuis quelques années avec l'ouverture des agences. Le rapport rappelle des chiffres assez importants, par exemple entre 2001 et 2012, l'INSEE compte plus de 50% de personnes sans domicile, la fondation estime, d'après l'INSEE, à 141.500 personnes sans logement, soit en hébergement chez un tiers, soit à la rue, soit en nuitée d'hôtel. Et la complexité de l'hébergement, c'est comme vous avez pu le voir dans le reportage, il y a une différence entre les centres d'hébergement d'urgence, qui sont limités à sept jours et des centres d'hébergement et de réinsertion sociale, où on peut aller de trois mois jusqu'à six mois. Donc c'est compliqué parce qu'on demande aux personnes de s'inscrire dans un parcours de vie, de recherche d'emploi, et souvent les gens qui ne sont pas accompagnés peuvent perdre pied, et la complexité des informations aussi, parce qu'il y a énormément de dispositifs - moi j'ai pu le constater lors de mon stage l'année dernière - qui concernent l'hébergement, allant jusqu'au logement adapté, mais qui fait partie de la même branche on va dire de l'hébergement quand on a pas de logement, il y a plusieurs moyens... Fred, faut que tu m'aides..."

FM

On a l'habitude de penser qu'il y a un espèce de parcours qui permet d'accéder à un logement durable en tant que locataire de droit commun, et que ce parcours passe par un hébergement temporaire, un hébergement d'insertion, une résidence sociale pour une durée limitée, un premier logement d'essai, etc., et plus on est en difficulté économique finalement, souvent ce n'est que ça, plus derrière on va vous demander des garanties importantes pour que vous puissiez montrer patte blanche et être éligible au statut de locataire lambda dans un logement avec un loyer qui soit adaptée à vos ressources. Et je crois que c'est ça que voulait pointer Gaëlle tout de suite dans son propos, c'est qu'effectivement, dans les chiffres que la fondation étale sur la place publique et martèle d'année en année, on est à plus de 12,8 millions de personnes mal logées, voilà en gros ce qu'on a repéré en terme de compilation statistique. 12,8 millions de personnes mal logées, ça veut dire effectivement un peu plus de 141.000 sans domicile fixe répertoriés, donc tous ceux qui ne se font pas connaître, tous ceux qui vont vivre dans l'ombre parce qu'ils sont sans papiers, déboutés du droit d'asile, qui se planquent dans les squats, dans les bidonvilles, et j'en passe, ceux là ne sont pas comptabilisés dans les 141.000 SDF. Donc 141.100 sans domicile fixe et puis en gros, si on ajoute effectivement toutes les personnes vivant chez des tiers, en hébergement temporaire, dans ce fameux parcours avant l'accès au logement, on est autour des 850.000 personnes. Donc c'est quand même énorme. Et en dix ans, on a vu le nombre des gens qui sont à la rue en tant que tels augmenter de plus 50%, donc ça montre bien que la tendance est plutôt à la dégradation, que les politiques publiques de solidarité... c'est pour ça que je faisais référence au code de l'aide sociale et de la famille tout à l'heure, qui était vraiment le dernier filet qui permettait de proposer une solution aux gens qui étaient sans solution, dans un lieu qui était contenant, qui leur donnait l'AME, la première possibilité d'accéder à l'aide médicale d'Etat, qui leur donnait souvent une activité en lien avec leur hébergement, sur un mode organisé, différent des communautés Emmaüs mais pas si éloigné que ça. Toutes ces formules là finalement se sont aujourd'hui noyées à force de réformes dans le paysage, avec une inadéquation totale entre la situation des gens qui arrivent aujourd'hui massivement en précarité sur le territoire ou de gens pour qui la crise économique a fait qu'ils se sont cassés la figure et que ça va beaucoup plus lentement pour remonter que pour descendre, et que derrière, tous les dispositifs sont devenus tellement complexes que les gens ne s'y retrouvent plus. Là on en est à un stade où un essaye de mettre en place des espaces pour permettre aux associations sur le territoire montpelliérain de travailler ensemble, pour que ensemble, sur une même situation d'une personne en difficulté par rapport au logement, elles puissent au moins a minima activer leurs droits, et que les travailleurs sociaux se parlent pour que Mme Dupont ne soit pas obligée de faire quatre guichets pour aller déposer sa domiciliation quelque part, sa demande de logement social ailleurs, son dossier à la CAF et puis pour peu qu'elle ait un suivi médical ou une tutelle, ça se complexifie encore. Donc on est nous, Fondation Abbé Pierre, à demander aux associations de travailler avec nous pour donner un espace où les intervenants vont pouvoir venir travailler autour de la situation qui a été repérée comme cas complexe du service intégré d'orientation, bref, et qui va revenir chez nous, où on va nous faire le lien avec des juristes pour aller chercher l'ensemble des intervenants pour venir résoudre une situation d'une dame ou d'un monsieur, qui s'est enkysté pendant cinq ans, partant d'une fuite d'eau, d'un dégât des eaux, d'un propriétaire peu scrupuleux et d'une situation qui s'est par exemple dégradée, de quelqu'un qui est proche de l'expulsion au 31 mars à la fin de la trêve. Donc on est dans des choses ubuesques, qu'on pourrait décrire pendant des heures et qui nous montrent bien qu'aujourd'hui, la responsabilité qui est la nôtre, elle est plutôt d'essayer de poser ça et de se dire comment on peut à la fois avec les personnes concernées qui sont en capacité de se mobiliser, qui en ont envie, avec les politiques qui sont les nôtres en terme de production de logements, de financement de logements - même si les financements sont en baisse depuis des années, on va pas s'attarder là dessus mais c'est aussi une réalité qu'il faut connaître - et puis avec les acteurs, que ce soit les entreprises, les bailleurs privés, les bailleurs sociaux, les archi, les maîtres d'œuvre, le secteur associatif, le secteur de la santé (par rapport à la précarité énergétique par exemple). Comment on peut tous ensemble essayer de redonner une dynamique un peu différente pour que effectivement on soit plus en adéquation entre le besoin et l'offre. Voilà, je crois que c'est ça la mission de la Fondation Abbé Pierre, d'essayer de dénoncer cette complexité, et de voir comment on peut peser mieux à tous les niveaux, à tous les stades du parcours pour que cette réponse logement soit réellement une préoccupation publique, des politiques publiques et des citoyens et qu'elle vienne prendre sa place au regard du droit au logement qui existe aujourd'hui, comme le droit au travail ou le droit à la santé."

CRÉDITS

Frédérique Mozer

Gaëlle Pellissier