Méthodologie de l'atelier 1/4
Travailler avec le design - Caylus
I. Enjeux théoriques et pratiques de l’atelier
Pendant notre séjour à Caylus nous n’avons pas seulement traité la manière d’habiter les maisons médiévales aujourd’hui, mais nous avons pratiqué également une autre manière de travailler en tant que concepteur. La communauté du village était notre client mais n’a pas fait de demande spécifique. Notre tâche est de concevoir un objectif social et non commercial en suivant la notion de “human- centered design”. Paula Schuster & Beverley Lassagne

Crédits : Paula Schuster & Beverley Lassagne
Travailler : que signifie Travailler aujourd'hui ?
Le travail est central dans notre société, il est au centre des activités. Mais que signifie le travail aujourd’hui ? Généralement, il est associé à sa capacité d’être une activité capable de productivité mesurable et donc quantifiable. « Travailler pour nous » à Caylus, questionne cette dimension du travail. Ce travail-productif est une dimension historique née au début du capitalisme, il était la base du lien social. Autour du travail se crée un lien social, un pacte inscrit dans l’organisation de la société. Il s’agit de la solidarité créée autour du travail, ces solidarités garantissent le lien social, un bien commun immatériel. Nous partirons de la définition dite « moderne » du travail, car elle permet de restituer les choses dans l’histoire et de s’extirper du déterminisme programmé, cette définition dite « moderne » du travail, donc, qui l’associe au début de l’industrialisation. Il faut souligner que rien du pacte social qui a émergé au cours du 20e siècle ne fut possible sans les luttes ouvrières. D’autre part, ce travail-productif assurait la progression de la consommation et donc de la protection sociale, socle institutionnel de la solidarité, mais aussi de la progression des profits et des investissements. De ces faits, le travail est devenu central en s’inscrivant dans le salariat, comme mode ‘d’échange’. Ce qui s’échange, c’est la soumission à l’objectif de rentabilité contre la solidarité via la protection sociale (les retraites, l’assurance maladie etc …) D’autre part, ce travail productif assurait la progression de la consommation et donc de la protection sociale, mais aussi de la progression des profits et des investissements. En conséquence, le travail est devenu central en s’inscrivant dans le salariat, comme mode ‘d’échange’. Pour que cette vision du travail fonctionne, cela repose sur deux piliers : la croissance et la productivité. De fait, ces deux piliers, dès 1974, au vu de la saturation de la consommation de masse, ont commencé à fléchir, confrontés aux limites de la Terre, mais aussi aux limites humaines. L’homme est de plus en plus remplacé par des machines, car plus productives, ou par une main d’œuvre moins coûteuse ; on casse le lien social issu du travail pour pouvoir mieux manager. Le néo-management ayant comme objectif de transformer chaque individu comme un petit bureau du temps et des méthodes. L’autre transformation est la liquidité du Capital à travers la financiarisation, laquelle réussit un contrôle à travers l’autonomisation de la finance par rapport au reste de la société. L’ensemble de ces éléments a fragmenté les entreprises et les liens collectifs initialement inscrits dans le travail ; ce démantèlement a été possible grâce à des pilotages à distance (actionnaires) et par un sous-investissement productif, déplaçant le travail comme lien social vers le travail aliénant. Il n’y a plus d’échange entre soumission et solidarité collective, mais il ne reste que de la soumission. Cette transformation est passée par des techniques de management du travail en management des subjectivités isolées avec l’aide des technologies de l’information. Ensuite, le développement des technologies de l’information, de la digitalisation et du numérique a accentué la flexibilité de l’emploi et de l’individualisation des performances en diffusant le travail partout dans tous les moments de la vie (répondre aux mails, au téléphone, partout, par exemple…). Nous devons tous être tout le temps efficaces et productifs, dans le travail et ailleurs. Accentuant / sustentant la mise en concurrence. Le nouveau « agir en commun » sera une coordination algorithmique aveugle et sans projet. Il émerge d’un « ordre spontané » des marchés sur lesquels ne s’échangent que des informations dénuées de sens qui ne servent qu’à quantifier l’activité humaine pour la transformer en matière première de la performance du travail.

Crédit : Jean-Marc Evezard
Pour nous : quelles questions cela pose au design ?
Soit, comment travailler pour le reste de la société si on ne peut plus s’adosser à ce principe de travail condition de la solidarité car celui-ci a été démantelé ? (Le travail est resté travail-productif mais sa contrepartie en terme de solidarité s’évanouit). Comment le designer peut être lui : comme individu qui doit décider pour construire le projet pour les autres, mais aussi comment peut-il savoir ce que veut l’autre, surtout s’il n’en fait pas la demande. Qu’y a-t-il de commun à tous les designers dans le métier de désigner ? Le designer prend-il part à une subjectivité ou à un lien social ? Comment prendre part à une subjectivité qui n’est pas la sienne ? Comment répondre à un besoin qui n’a pas été identifié ? Quels outils mettre en place pour répondre à des besoins réels ?
Le design est un acteur important de ce défi. Si je veux revenir sur la question du terme du design, sur ce qu’il veut dire, c’est qu’il reste à éclaircir, de mon point de vue. Pour cela, nous nous appuierons sur l’ouvrage de Robert Prost sur les « Pratiques de projets en architecture » voir note: note" class="note in-text note-origin">voir note: note">1:Robert Prost: Pratiques de projets en architecture, Préface de François Chaslin, Infolio, Collection Archigraphy Poche, 2014. La prolifération des pratiques de design : un réel bouleversement, p.119Ainsi, on éliminera dès le départ l’usage courant en France du terme design : « c’est design », « c’est très design », ou « style design ». On parlera du design comme méthode et enjeu théorique. En France, en dehors du terme courant que nous avons mis à part, c’est la notion de concepteur qui demeure. On notera qu’en anglais on parle d’architecture design, d’intérieur design, d’industrial design et lorsque l’on parle de design, cela s’adresse à la création de pièces uniques à vocation et ambition artistique. Le design, à la différence d’autres disciplines qui travaillent dans ou avec la technique, apporte non seulement un point de vue critique mais aussi une vue sur l’étude d’objets « socialement » praticables et non uniquement techniques et commercialement fonctionnant. Donc, deux points fondent la discipline du design : une méthode entre pratique et théorie et une étude d’objets « socialement » praticables. Cela impose, au sein de notre travail, de ne pas penser en terme de « ce qui est » et de « ce qui doit être », car cela n’est ni linéaire, ni hiérarchique, mais plutôt en terme de la pratique « ce qui pourrait être » et « comment le faire», en questionnant l’équilibre permanent entre socialement, techniquement, économiquement, formellement, entre les différents interlocuteurs : les Caylusiens (leur rapport à l’habitat), les artisanats, vous (jeunes designers) et nous (les professeurs) le responsable du Fablab de Caylus et du Propulseur, les politiques locaux... En bref, une réalité à saisir pour faire Histoire en acte, celle d’un projet commun. Il n’y a donc pas de méthode préétablie, mais une approche face au design, une attitude vis-à-vis du réel. Trouver les outils pour se saisir du réel (par la carte, les entretiens, la photographie, le son…). C’est une aspiration à la liberté qui ouvre les champs des possibles, pour vous, pour un aller-retour pédagogique dans un dialogue ouvert, critique et nourri. Il vous faut arriver à exposer les questions clairement, les doutes, pour co-construire ensemble. De fait, travailler à l’autonomie de pensée, c’est échanger autour de nos expériences et savoirs, partir dans le doute, accepter nos propres limites. Ce n’est pas une liberté qui se construit sur le rapport maître-élève ou designer-usager, mais sur l’échange de compétences, de regards, de cultures différentes. Si nous parlons de liberté, ce n’est pas une liberté qui se construit autour d’une idée de l’extension potentiellement illimitée de la propriété privée et du profit, autour de l’idée de profit individuel. Car la liberté que l’on nous vend aujourd’hui rabat l’homme à sa condition animale. Pire, elle l’invite à se penser comme une machine, en vue justement de réduire sa pensée à l’obsession accumulatrice ou consommatrice et la liberté dont il est question dit son contraire : il s’agit de soumettre l’individu à l’injonction surmoïque, devenue tyrannique – car sans limite –, du « jouis ! »,« jouissez donc, on s’occupe du reste ! Les animaux, eux, se foutent pas mal de faire du profit. La spécificité de l’Homme contrairement à l’animal est qu’il parle : pas de lien social sans langage et la parole (subjective) qui lui fait cortège. Mais il ne s’agit pas de faire ce que l’on veut. La conception de la liberté sur laquelle je m’appuie, suivant Hannah Arendt, est la liberté comme capacité de faire que quelque chose de nouveau advienne. La liberté est l’expérience quotidienne qui permet que la politique soit possible. Elle est l’attribut de la dimension politique des sociétés humaines. Il s’agit de mettre en place un bien commun, un outil convivial, comme le définit Ivan Illich. Ce qui est convivial est ce qui est manipulable par nous, dont on peut choisir l’usage et la finalité librement.

Crédit : Jean-Marc Evezard
Se saisir du réel ?
Il est important de noter en amont la différence entre l’intuition comme « connaissance directe et immédiate d’une vérité qui se présente à la pensée avec la clarté d’une évidence, qui servira de principe et de fondement au raisonnement discursif. » voir note: note" class="note in-text note-origin">voir note: note">2: Trésor de la Langue Française Informatiséet non à partir de la subjectivité « Qui est propre à un sujet déterminé, qui ne vaut que pour lui seul. 2: Trésor de la Langue Française Informatiséet non à partir de la subjectivité « Qui est propre à un sujet déterminé, qui ne vaut que pour lui seul. 2: Trésor de la Langue Française Informatiséet non à partir de la subjectivité « Qui est propre à un sujet déterminé, qui ne vaut que pour lui seul. voir note: note" class="note-content">2: Trésor de la Langue Française Informatiséet non à partir de la subjectivité « Qui est propre à un sujet déterminé, qui ne vaut que pour lui seul. voir note: note" class="note in-text note-origin">voir note: note">3: Trésor de la Langue Française Informatisé» , surtout quand nous parlons d’un travail créatif, mais aussi pour bien signifier qu’il n’est pas question d’un design-marque mais d’un design au service d’un bien commun, s’éloignant radicalement de la marchandisation de son nom, de ses produits, en créant une surenchère autour de la communication, du buzz et du marketing.
Observer, analyser : la méthodologie de la pensée complexe
Pour arriver à questionner les notions de relation, de qualité des espaces et des perspectives de demain, nous devons questionner le design et son rapport à l’économie, aux outils de production et de diffusion, en le situant dans le contexte de la ville, de l’urbanité. À chaque regard sur un problème de notre monde, s’ouvre une chaîne de questionnement sans fin interrogeant une multitude de disciplines. Alors comment faire ? Il s’agit d’ouvrir la pédagogie vers la complexité, comme défini par Edgar Morin. La réalité qui nous entoure est constituée d’informations socio-politiques, économiques, complexes car imbriquées dans des sciences séparées. « Les sciences humaines n’ont pas conscience des caractères physiques et biologiques des phénomènes humains. Les sciences naturelles n’ont pas conscience de leur inscription dans une culture, une société, une histoire. Les sciences n’ont pas conscience de leur rôle dans la société. Les sciences n’ont pas conscience des principes occultes qui commandent leurs élucidations. Il leur manque une conscience. Mais de partout naît le besoin d’une science avec conscience. Il est temps de prendre conscience de la complexité de toute réalité – physique, biologique, humaine, sociale, politique – et de la réalité de la complexité. Il est temps de prendre conscience qu’une science privée de réflexion et qu’une philosophie purement spéculative sont insuffisantes. Conscience sansscience et science sans conscience sont mutilées et mutilantes. » Comment placer l’homme au centre des projets de design ? Ainsi, comprendre le socio-politique signifie articuler socio et politique. Le terme politique défini par les grecs de politikos, indiquant le cadre général d’une société organisée et développée, est donc en rapport direct avec le social. Les sciences humaines et sociales forment un ensemble de disciplines étudiant divers aspects de la réalité humaine sur le plan de l’individu et sur le plan collectif. La société d’aujourd’hui s’articule sur des relations
économiques tirées du grec ancien oikonomía signifiant administration d’un foyer. Elle relève d’une activité humaine qui consiste en la production, la distribution, l’échange et la consommation de biens et de services (marchands ou non). De fait, placer l’homme au centre des projets de design signifie ne jamais pouvoir se saisir de la science comme une réalité immuable. Les réalités des hommes sont toutes différentes, nos actes, nos styles et manières d’être diffèrent. Objet, espace, cadre de vie sont des matérialisations sensibles et esthétiques de ce que nous sommes et de nos rapports collectifs. L’expérience esthétique est notre outil de travail comme médium de transmission. Le sensible est le langage utilisé par le design pour créer les artefacts reliant les individus, les savoir-faire et les divers échanges, marchands ou non. En conséquence, se saisir de réalités est le départ de tout projet centré sur l’Homme. La réalité permet de « tirer » les imbrications de connaissances pour les comprendre, en les réorganisant différemment ; le rapport politique (politikos), économique (oikonomía), social, à travers des artefacts sensibles, créant un nouveau lien entre toutes les composantes. La question de la méthodologie et de l’organisation des savoir-faire de tous ordres, savoir-faire issus des cultures territoriales, des cultures industrielles, des cultures professionnelles, des cultures artisanales..., se pose ici comme élément fondamental pour la création de ces types d’observation. La méthode
sur la pensée complexe permet de créer des conditions de vision inventives et sensibles, une méthode se construisant par l’auto-organisation « Que signifie
radical auto d’auto-organisation ? Qu’est-ce que l’organisation ? Qu’est ce que la complexité ?» Face aux discours identitaires, aux crises écologiques, voir note: note" class="note in-text note-origin">voir note: note">Edgar Morin:Science avec conscience, éditions Points Fayard, collection Sciences, mai 1990, 4e de couverture Edgar Morin, Science avec conscience, éditions Points Fayard, collection Sciences, mai 1990, 4e de couverture. aux tensions, il faut trouver le sens d’une humanité, un ensemble, du commun. Sur la base des communs, le premier réside bien entendu dans les biens naturels, la Terre, l’Eau... Ce commun préhumain est de fait constitué avant lui. L’Homme doit son existence à la nature grâce à l’usage des ressources naturelles. Pour vivre en société, les activités humaines se sont développées pour devenir le socle des communs auto-constitués qui relèvent de l’agir ensemble, comme le langage, la culture, le savoir, la connaissance.
D’autre part, les communs auto-institutionnalisés, relevant de décisions institutionnalisées, sont créés pour garantir un socle partagé à travers la fonction publique, comme l’école et le secteur de la santé, par exemple. C’est sur cette base que l’économie a développé la centralité de l’organisation du travail en l’associant à sa capacité d’être une activité capable de productivité mesurable et donc quantifiable, qui garantit la croissance. Pour travailler, il faut de la connaissance, du savoir, que l’on acquiert à l’école afin d’apprendre un métier qui permettra de produire un bien ou un service. Ce système est fondamentalement en crise pour plusieurs raisons : écologique, enclosures multiples, capitalisations financières, même dans le supérieur et la recherche...
Le design comme recherche-action
Aller de l’avant dans une pensée précise avec une méthode s’articulant à travers des nœuds (rencontre de convergences entre plusieurs disciplines) et entre les manières de faire, les sensibilités, pour créer un réel différent, tel est l’enjeu. Ces nœuds se trouvent à la croisée de 3 points fondamentaux pour notre discipline : le rapport homme-architecture, le rapport homme-connaissances, comment transmettre une forme ouverte dont on peut se saisir, le rapport à la bienveillance que l’on doit avoir face à la nature comme un bien commun. Identifier les savoir-faire, développer les processus, imaginer d’autres rapports au travail à travers le projet de design. Il s’agit d’un processus d’expérimentation sur 3 piliers qui s’inscrit dans un continuum progressif voir note: note" class="note in-text note-origin">voir note: note">8:Cette partie est issue de Vers une pédagogie dynamique et créative, d’A, déc. 2016/fév. 2017, p.79 –Entretien Patrice Doat pour se saisir des subjectivités des habitants de Caylus. Nous travaillerons dans un contexte à tisser des liens, des analyses, dans la complexité entre penser et faire. L’observation (en terme simple) avec la mise en situation, l’observation de ce qui est donné à voir ou à traiter. L’objectif étant de bien comprendre les différents éléments constitutifs du ou des projet(s) à partir d’une vision globale (occupation spatiale, ressentis, usages et fonctions, couleurs, textures, matériaux, principes de mise en œuvre, etc.). Il faudra trouver les analogies et interprétations pour comprendre les spécificités quant aux modes de fabrication (espace et objet). Le village médiéval de Caylus a été choisi comme lieu d’observation. La mesure : savoir évaluer ce que l’on voit et perçoit. Il s’agit d’approfondir sa première approche en repérant le plus précisément les différents éléments, les différentes articulations. L’objectif est d’appréhender l’espace et les objets. La description : donner vie au projet grâce à des outils de représentation diversifiés, en utilisant l’imagination pour définir les termes. La finesse de ce travail permet la richesse du projet et de l’expérience (à l’autre).
Thématique de l’observation
Le village de Caylus se compose de bâtisses et autres constructions qui ont vu le jour il y a maintenant plusieurs siècles, nombres d’entre elles ayant émergé à l’époque du Moyen-Âge. Ces constructions ne sont pas seulement le témoignage d’un lointain passé, elles sont encore habitées et animées de la vie des Caylusiens. Depuis la date de leur conception, les conditions de vie ont changé : les conditions d’hygiène mais aussi les moyens de se chauffer, de s’approvisionner en eau, etc. Pour que les constructions d’hier puissent accueillir les modes de vies d’aujourd’hui, les hommes ont successivement transformé leurs demeures. Or, chaque étape de transformation d’un héritage ainsi reçu soulève son lot de questions. Quelles sont les parties que nous pouvons garder en l’état, renforcer, quelles sont celles que nous ne pouvons pas ne pas modifier ? Comment les constructions d’autrefois peuvent-elles supporter les installations d’aujourd’hui ? Lors de ces chantiers, des décisions sont parfois prises à la hâte, les opérations menées pour adapter la maison à l’ère du temps se traduisent par des ajouts inesthétiques, obéissant ainsi au seul souci de fonctionnalité, pour faire notamment circuler les nombreux flux qui transitent désormais dans nos habitations modernisées (système de canalisation des eaux, réseaux de chauffage, de câblages électriques, de télécommunication, etc.). Sans chercher à comprendre les structures internes, on perce des points d’entrée, on ajoute des gaines qui au fil du temps dénaturent l’aspect des maisons. Il y a là un enjeu pour une démarche de designer qui s’efforcerait le plus possible de faire avec l’existant. Ajouter un système de conduits pour faire circuler de l’air implique-t-il nécessairement de venir condamner irréversiblement un système plus archaïque mais non dénué de qualités ?Pourrait-on trouver des manières de faire cohabiter un système de chauffagemoderne avec la cheminée ?

Crédit : Jean-Marc Evezard
Description de l’organisation et du dispositif de travail
L’atelier de recherche-action s’est déroulé en trois phases :
I. Caylus, ses habitants, leurs maisons
1er temps : multiplier les modes d’observation d’un lieu et les spécificités liées
à ce lieu
Durant leur premier séjour à Caylus (du 3.01.17 au 6.01.17), le groupe d’étudiants en option design à l’isdaT, participant à cet atelier de recherche, a observé les bâtisses de la cité médiévale de Caylus, leurs machineries internes, leurs « tripes », et tout particulièrement leurs réseaux de tuyaux. Les étudiants se sont entretenus avec les habitants, ils ont évoqué les différents chantiers par eux entrepris pour modifier leur habitat, les problèmes qu’ils ont rencontrés, etc.
II. Gestes, histoire
2e temps : les savoir-faire et la recherche historique
A la suite de cette première semaine d’immersion, les étudiants ont retranscrit les entretiens, rassemblé les données collectées et mené des recherches documentaires afin de mieux comprendre l’organisation de cette cité médiévale.
III. Transmettre et créer du commun
3e temps : tirer des hypothèses à partir de la matière collectée, concevoir des maquettes et des prototypes à partir hypothèses formulées
Pour la deuxième session de cet atelier (du 13.03.17 au 17.03.17), le groupe de départ a été rejoint par deux étudiants de la licence 3 professionnelle Artisan Designer (Université Toulouse – Jean Jaurès, site de Montauban), venus rejoindre les étudiants de l’isdaT pour participer au travail de conception dans le camion, pendant que d’autres étaient occupés à la mise en place d’un vidéomapping sur les gestes des artisans. Cette semaine a été consacrée au travail de conception de divers projets en lien avec les hypothèses formulées suite à la première semaine. Grâce aux machines présentes à bord du camion, les étudiants ont pu réaliser des prototypes de pièces et des éléments de maquette. La machine de découpe laser leur a permis de réaliser des planches de communication de leurs projets. Cette dernière semaine à Caylus s’est clôturée par une présentation publique des recherches et des ébauches de projets réalisées dans le cadre de cet atelier. Pour cet événement, les étudiants avaient réalisé dans le camion un affichage des entretiens, de leurs recherches documentaires et organisé la présentation de leurs projets. La plupart des personnes qui avaient pris part au projet de près ou de loin – les habitants, certains élus, les personnes en charge de l’inventaire du patrimoine, le responsable du Fablab de Caylus, les étudiants de l’isdaT et certains de la Licence Artisan Designer – étaient à cette occasion réunis dans le camion et ils ont pu s’entretenir autour des dessins et des maquettes. Ce soir là, dans ce studio mobile situé sur la place publique, les conditions étaient réunies pour qu’aient lieu des discussions à propos de ce qui pouvait être là-bas entrepris, de ce qui serait susceptible de modifier, même très légèrement, le cadre matériel d’existence de la vie des habitants.

Crédit : Jean-Marc Evezard
Changer les modes de travail : travailler dans un tiers-lieu
Pendant deux semaines, les étudiants ont été invités à travailler dans un bureau mobile dans la commune de Caylus. Ce bureau mobile est contenu dans un camion disposant d’un plateau modulable d’une surface de 60 m2 et proposant un espace de prototypage composé de diverses machines à commande numérique. Le camion appartient à l’association “Science Animation“ avec qui un accord s’est engagé pour inscrire une partie de leurs activités dans une démarche commune avec l’isdaT en design. Cette association considère le camion (nommé Le Propulseur) comme un tiers-lieu mobile. Cette notion de tiers-lieu a été introduite par le sociologue américain Ray Oldenburg et désigne « un espace qui n’est ni tout à fait un domicile ni tout à fait un lieu de travail, un lieu hybride qui présente les caractéristiques des deux univers et où se fabriquent et s’assemblent des connaissances. » Cet espace de travail mobile a permis aux étudiants d’habiter provisoirement ce territoire et de l’observer de plus près. Un tel dispositif offre l’avantage de rapprocher, voire d’unir lieu de conception, de fabrication et de diffusion. L’installation de ce bureau dans une zone rurale participe également d’une volonté de penser et de mettre en œuvre la décentralisation des lieux de fabrique et de production.

Crédit : Jean-Marc Evezard
Présentation du Propulseur et du FabLab
Habiter le lieu du projet
L’une des visées de cet atelier de recherche était d’installer un cadre de travail différent du cadre de travail classique du designer en agence dans lequel le lieu de conception est généralement séparé du lieu auquel se destine le produit de la conception. Le fait de pouvoir séjourner sur place le temps du projet amène une approche différente. Dans ces conditions, le designer, ou l’apprenti designer, ne se contente pas d’observer le cadre matériel d’existence des Caylusiens et les usages qu’’ils peuvent en faire, il pratique lui-même cet espace, il le traverse, l’éprouve, en fait une expérience directe et ne l’appréhende pas seulement au travers de représentations. Il s’agissait aussi de donner aux étudiants un temps d’observation plus long, en vivant momentanément sur le lieu du projet. Ainsi les étudiants ont pu se livrer à une observation plus approfondie, ce temps était nécessaire pour repérer les problème spécifiques liés à ce type de territoire. D’autant plus que le principe de cet atelier reposait en partie sur l’absence de commande, les étudiants n’étaient pas mis en situation de répondre à une demande prédéfinie, mais de considérer la manière dont les choses étaient faites, les éventuels problèmes qui pouvait découler de cet état de chose, et ce qu’il serait bon d’entreprendre pour améliorer l’existant.
Le studio sur la place publique
La présence du bureau mobile sur la place publique a joué un rôle important, le camion, de par sa taille et son emplacement, a suscité la curiosité des habitants qui n’ont pas hésité à en franchir le seuil pour venir voir ce qui s’y passait. Le bureau mobile a été tour à tour plateforme d’échange et de discussion pour la première étape du projet – le moment de l’enquête – puis lieu de conception, de réalisation de maquette et de prototype, et enfin lieu de diffusion des idées et des prémices de projets.
Un temps d’échange avec l’artisanat dit « dur » à venir
Le premier jour permettra de partager l’état et l’analyse des recherches entreprises la 1re semaine qui a eu lieu du 3 au 6 janvier 2017. De leur côté, les Artisans-Designers montreront le recensement et les décryptages des techniques « métiers » mises en œuvre.

Crédit : Jean-Marc Evezard
II. Caylus, ses habitants, leurs maisons
Recueillir des anecdotes auprès des habitants
Claudine Mendal, Chantal Tibau et leur amie.
Date : 03/01/2017
Entretien effectué par : Victoire Souviron, Hanin Salama, Marie Maganuco et Aurélie Perderizet.
Claudine est retraitée, ancienne commerçante d’une charcuterie familiale à Caylus depuis 1924, fermée il y a un an à cause de la conjoncture économique et du dépeuplement, l’apparition des supermarchés etc. Elle habite depuis 50 ans dans le même logement à Caylus, logement datant du XIII/XIVe siècle. Elle est également propriétaire de plusieurs immeubles à Caylus.
Mme Medal a fait réaliser des travaux d’isolation et de rénovation mineurs à chaque fois par des artisans locaux, l’extérieur n’est pas trop modifiable car son logement est classé. Elle a gardé en état la cheminée d’époque, elle est d’ailleurs disproportionnée par rapport à la taille de la pièce, mais elle se chauffe avec un chauffage central au fioul.
Structuration
Il y a eu trois enceintes à Caylus, qui se sont aujourd’hui transformées en trois quartiers bien distincts : le centre-ville, le haut (le Causse, là où il y a les lotissements et la conserverie. D’ailleurs toutes les commodités tels que la pharmacie et les cabinets médicaux ont été déplacés dans le haut, ce mouvement a été difficile pour les habitants du centre-ville et a participé selon certains au déclin du centre.) Puis il y a le bas, où le cimetière se situe. Le centre de Caylus est peu habité, mais il y a beaucoup de monde dans les fermes d’alentour.
Le château de Caylus a 200 ans
Le plus ancien quartier de Caylus est le quartier du château. L’un des quartiers le plus ancien de Caylus a été détruit, il était constitué de maison en bois et en tuf * (roche résultant de la consolidation de débris volcaniques), il était en bas de l’église.
Les pierres des bâtiments détruits ont été réutilisées pour les constructions de nouveaux bâtiments.
A l’époque, il était possible de passer d’une maison à l’autre par les caves. Le nom de Caylus est un héritage romain, il signifie « pierre de lumière ». Dans le haut de Caylus, les égouts en pierre ont été rénovés il y a 10 ans, depuis les odeurs d’égouts sont bien plus présentes. D’ailleurs les écarts entre les maisons, appelés des venelles, servaient à l’époque d’écoulement pour aller ensuite dans les caniveaux, dans la rue.
La suite de l’entretien se passe plutôt sous la forme d’histoires, d’anecdotes que Chantal nous raconte. Claudine nous a fait visiter une de ses propriétés, dans laquelle il y a une cheminée d’époque et le plus grand escalier hélicoïdale de Caylus. Chantal nous amène voir la façade de l’ancien orphelinat. Elle nous explique que c’est un bâtiment très ancien. Les femmes célibataires de l’époque qui avait un enfant l’abandonnait en le glissant dans le trou de la façade, derrière ce trou se trouvait un panier pour que les bonnes sœurs récupèrent les enfants.
Avant, il y avait un marché immense, une foire une fois par mois. Avant, il y avait beaucoup de commerces, tout était ouvert, aujourd’hui beaucoup moins de choses ouvrent, mais il y a tout de même l’essentiel à disposition, si l’on veut on n’a pas besoin de sortir de Caylus.
Enquête photographique

Crédit : Théo Lacroix

Crédit : Jean-Marc Evezard

Crédit : Jean-Marc Evezard
Voir la suite :